L'antre du dragon

Gonvrid était décidé ce matin-là à faire connaissance avec le maître des lieux. Solidement équipé, le courageux garde-chasse marcha rapidement à travers les sapins et les fougères.

Arrivé devant la grotte où le dragon vivait, il respira profondément, puis risqua un oeil à l'intérieur.
Rien. Ou plutôt, du noir...

Gonvrid fit quelques pas à l'intérieur, et put explorer tranquillement: le dragon était en vadrouille. Le jeune homme gardait toutefois une oreille attentivement tendue vers l'extérieur...

Et heureusement ! Brusquement, le dragon fit son apparation. Sans que Gonvrid n'ait pu tenter quoi que ce soit, la terrible créature était sur lui, soufflant de colère.

Sa queue l'atteignit au visage, dans l'oeil droit, tandis qu'une de ses pattes lacéra le cou du jeune homme. Gonvrid apperçut soudain une ouverture vers l'entrée de la grotte, et courut de toutes ses forces.

Il zig-zaga dans toute la forêt pour semer le dragon, et enfin, hors d'haleine, il put rejoindre sa cabane et tenter de s'y soigner...

*On se retrouvera mon bonhomme...*

Quatre jours plus tard

Gonvrid revenait de l'infirmerie: il était pratiquement guéri de partout, mis à part de son genou, mais qui n'allait pas tarder...

Il était fermement décidé à ne pas lâcher le morceau tant que le dragon ne l'attaquerait plus. En tant que garde-chasse, il se devait d'être le seul à pouvoir l'approcher.

C'est pourquoi il se dirigea vers l'antre en boitant très légèrement, un sac en toile à la main. Arrivé devant la grotte, il vida le contenu du sac à l'entrée, et partit se coucher dans l'herbe proche, les yeux fixés sur ce qu'il avait laissé par terre.

Soudain, il vit une langue d'une taille impressionnante avaler tout rond les morceaux de viande... Un sourire apparut sur le visage de Gonvrid, qui se releva quelques minutes après et retourna dans sa cabane.

*Une étape...*

Trois jours plus tard

Gonvrid était à présent parfaitement guéri, grâce aux bons conseils et remèdes de l'infirmière. Mais si ses blessures étaient éteintes, il n'en était pas de même pour sa volonté irrédutible d'approcher le dragon. Pour se le justifier à lui-même, il tenait fermement à cette idée:

*C'est pas pour frimer ! Mon métier de garde-chasse m'oblige à contrôler les créatures de la forêt noire !*

Mais c'était surtout sa passion profonde pour les animaux sauvages qui le poussait d'instinct à s'y lier...

Le jeune homme avançait donc à grands pas pour la troisième fois vers l'antre du dragon. Dans sa main, un petit objet de bois taillé finement par lui-même.
Quand Gonvrid arriva à proximité de la grotte, il s'agenouilla dans les herbes hautes et humides, et guetta un instant.
Après quelques instants dans un silence parfait, il porta le petit cylindre de bois à sa bouche, et souffla doucement. Un son, à mi-chemin entre un râle rauque et un sifflement, en sortit.

Inlassablement durant de longues minutes, Gonvrid soufflait lentement dans le tube, de manière à créer un son en continu.

Soudain, il perçut nettement que le dragon s'agitait à l'intérieur. Loin de s'arrêter ou de s'exciter, le garde-chasse continua comme si de rien n'était son activité étrange. Mais soudainement, après de longues minutes, il cessa de souffler, et se releva agilement.

A ce moment-là, il repartit à grands pas vers sa tanière à lui, sans un regard derrière lui ni une expression particulière sur le visage...

*A plus tard, bonhomme.*

Le lendemain

Gonvrid, encore et toujours lui , avait décidé de rapprocher ses visites.
Ce matin-là, le garde-chasse avait emmené un oeuf. Mais pas un oeuf de poule, ni même un oeuf d'autruche... un oeuf de dragon. Ou du moins cela ressemblait en tous points à un oeuf de dragon. Depuis l'apparence jusqu'à l'odeur, tout y était... mis à part un futur petit dragon.

Le jeune homme déposa ce curieux élément devant la grotte et, après avoir pris une profonde inspiration, s'accroupit juste derrière. L'odorat des dragons était très développé, donc, selon ses propres estimations, le dragon de l'intérieur de la grotte mettrait environ 9 secondes à sortir. Gonvrid les passa dans un calme parfait, tout autant que le silence.

8 secondes 57 plus tard, un museau d'une taille effroyable fit son apparition à l'entrée, et renifla en direction de l'oeuf. Tout héros dans un roman aurait retenu alors sa respiration, mais le garde-chasse savait qu'il lui faudrait tout son souffle pour la suite des évènements. Aussi se contenta-t-il de respirer normalement, sans toutefois forcer la dose pour se faire remarquer...

Tout à coup, le dragon sortit brutalement, et poussa un rugissement de tonnerre. Gonvrid sentit sur sa peau le souffle chaud de la bête... L'animal se rua sur l'oeuf, le rejeta d'un coup de patte habile vers l'intérieur de la grotte, et tourna ensuite ses petits yeux rouges vers le jeune homme qui n'avait pas bougé d'un pouce.

Celui-ci se força à conserver sa position et sa respiration normale tandis que le dragon le reniflait à quelques centimètres de son visage.
Après quelques secondes de ce manège, le dragon s'énerva soudain et lacéra violemment le torse du jeune homme, avant de bondir dans sa grotte.

Sous le choc et la douleur, Gonvrid s'évanouit. Quelques centièmes de secondes plus tard, il ouvrit les yeux et, retenant des cris de douleur, se releva et courut plié en deux vers le château, une main faisant point de compression tant bien que mal sur sa poitrine..

(et c'est reparti pour les aventures palpitantes de notre garde-chasse que vous attendiez tous avec impatience ! ^^)

Un mois plus tard

Gonvrid avait opté pour une nouvelle stratégie. Maintenant qu'il avait mieux cerné la personnalité de son gaillard, le garde-chasse avait compris que le temps n'arrangerait rien: il fallait y aller plus franchement.

Le jeune homme avançait à grands pas, ses hautes bottes protégeant ses jambes contre les griffures des plantes sur son passage. Il avançait dans un parfait silence, et s'arrêta à bonne distance de la grotte. Gonvrid fronça les sourcils: la dernière fois qu'il était venu, cela avait mal tourné: il ne voulait pas reproduire son erreur...

Le garde-chasse avait son plan. Sans l'once d'une hésitation, il reprit son avancée et se plaça juste devant l'antre du dragon. Malgré tout son courage, il ne pouvait empêcher son coeur d'accélérer son rythme... Il dut attendre quelques secondes immobile pour se calmer et reprendre son souffle normal.

Alors, Gonvrid se mit à parler: d'une voix égale, sans discontinuité, il parla, parla, parla... De quoi ? Absolument tout ce qui lui passait par la tête. Pour ce grand solitaire, c'était une épreuve très éprouvante, mais à laquelle il s'était préparé psychologiquement.

Après quelques minutes, il ressentit une agitation dans la grotte. Néanmoins il continua d'exercer sa langue, jusqu'à ce que le calme revint dans l'antre de la bête.

A ce moment-là, le garde-chasse sourit légèrement, et ses yeux pétillèrent du feu de la victoire. Il revint sur ses pas, et reprit son inspection de la forêt tout naturellement...

*L'infirmière ne me verra pas aujourd'hui !* songea-t-il avec un brin d'amusement.